Enseigner l’architecture : de l’ici à l’ailleurs
Enseigner l’architecture : de l’ici à l’ailleurs
Simon Teyssou – avril 2020
Entretien publié dans la Revue Topophile, avril 2020.
Crédit photographique photo de couverture – Jacques Pouillet ENSACF
Alors qu’un vent de contestations a animé les écoles d’architecture au tournant de l’année, qu’une critique et un mécontentement plus ou moins larvés se font timidement ou bruyamment entendre dans celles-ci mais aussi dans les écoles de design, de paysage, d’urbanisme, Topophile saisit l’occasion de réfléchir à la pédagogie et interroge Simon Teyssou qui dirige depuis février 2019 l’École d’Architecture de Clermont-Ferrand.
1 – Celui qui enseigne, nous dit Heidegger, doit « apprendre à faire apprendre ». Simon Teyssou, quel apprenant êtes-vous ? Qu’est-ce qui a fait de vous l’enseignant que vous êtes ?
Élevé à la campagne à partir de l’âge de 4 ans, sans télévision, dans un hameau isolé du Cantal, j’ai entretenu très tôt un rapport profond avec la nature. Mon univers, à proximité immédiate des prairies des fermes voisines, des forêts, des rivières, du potager, la maison construite par mes ancêtres au milieu du XIXème, et ma scolarité dans la classe unique de l’école de la commune, ont évidemment joué un rôle majeur dans le développement de mes perceptions kinesthésiques, auditives, visuelles et olfactives. Je crois que l’organisation du territoire, son anthropisation, ses mutations me fascinaient déjà beaucoup à ce moment-là. Nous entretenions aussi une relation étroite avec les animaux (lapins, poules, brebis, chien et chat). Cette proximité avec le monde animal m’a beaucoup appris sur la vie, les maladies, la mort, l’alimentation, la cohabitation. J’ai longtemps voulu être un agriculteur. Bien que je sois devenu un grand nomade, je cultive encore aujourd’hui une relation particulière avec le territoire du Cantal, dans lequel j’ai construit mon habitation et mon atelier.
Cet ancrage ultra local était contrebalancé par de longs séjours estivaux à l’étranger, notamment aux États-Unis, ma mère étant américaine. Ces voyages réguliers en Amérique, tous les 5 ans (les billets d’avion coutaient très chers), m’ont beaucoup appris, bien sûr. J’ai été confronté à des gens différents et à des ruptures d’échelle considérables : distances sans fin, infrastructures de mobilité, villes tentaculaires, densité et hauteur des buildings, végétation luxuriante. J’ai aussi découvert l’architecture de Franck Lloyd Wright, d’abord dans la ville de mes grands-parents maternels puis à travers tout le pays. Ses projets, son obsession géométrique, ses théories restent une référence pour moi. C’est aussi à ce moment que je me suis pris de passion pour la littérature américaine : William Faulkner, Ernest Hemingway, Jack Kerouac, Jack London, Toni Morrison, et surtout John Steinbeck. Je cultive encore cet intérêt en lisant des auteurs contemporains américains. En parallèle j’ai développé un gout prononcé pour l’architecture vernaculaire : celle des fermes du Cantal, mais aussi celle des indiens Pueblos et Navajos, ou encore celle du Moyen Atlas au Maroc. J’ai commencé à dessiner en reproduisant les relevés issus d’ouvrages de référence tirés de la bibliothèque de mes parents (tous deux enseignants dans le secondaire) puis représenté des villages ou des hameaux imaginaires.
Plus tard, je me suis résolument tourné vers l’histoire, en particulier celle des campagnes des périodes médiévales et modernes, si bien que j’ai failli délaisser l’architecture pour entreprendre des études d’histoire à la fac. J’ai lu de nombreux livres de Fernand Braudel, Georges Duby, Robert Fossier, Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie… Depuis je ne cesse de m’intéresser aux permanences, aux traces, à l’histoire des lieux et des hommes qui les construisent. Mon intérêt persistant pour les archétypes de l’architecture prend certainement racine dans cet apprentissage initial, je l’imagine du moins.
Le déclic pour l’architecture, je ne l’ai eu qu’en troisième année, quand je suis parti en mobilité en Ecosse. L’enseignement était organisé autour du projet : 25 heures par semaine. Je crois que j’ai commencé à comprendre quelque chose de l’architecture à ce moment-là, quand je n’étais pas concentré sur la lecture studieuse des trois tomes du monumental Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe-XVIIIe de Fernand Braudel… Jusque-alors, l’histoire restait ma priorité. De retour en France, j’ai commencé à consacrer toute mon énergie à la discipline de l’architecture, avec excès. Comme si je devais entreprendre un rattrapage culturel. C’est à ce moment que j’ai découvert le Régionalisme Critique dans L’architecture moderne, le célèbre livre de Kenneth Frampton. Ce n’est pas tant le chapitre en question qui m’a marqué mais plutôt la découverte des travaux de quelques architectes à la marge des grands circuits. J’ai commencé à faire le lien avec ce que quelques enseignants nous racontaient. Pour mon diplôme, consacré au Régionalisme Critique justement, j’ai présenté un projet réel, un projet de réhabilitation d’une ferme de la Chataigneraie cantalienne, mon premier chantier. Et je suis allé parcourir physiquement les espaces de Siza au Portugal, de Scarpa en Vénitie, de Barragan au Mexique, de Bruder aux USA. Rien ne vaut la visite des lieux. C’est une habitude que j’ai prise depuis : je voyage beaucoup, et je dessine.
Aux étudiants, je demande d’être eux-mêmes et de convoquer ce qu’il y a de plus profond en eux. Je préfère qu’ils me parlent avec émotion de la maison et du jardin de leur grand-mère plutôt que d’une visite superficielle de la fondation Vuitton.
2 – Diplômé en 2000 de l’ENSA Clermont, vous fondez l’Atelier du Rouget dans le Cantal, et enseignez dès 2004 dans votre école.
En quoi le praticien nourrit-il l’enseignant ?
Depuis maintenant 20 ans, la pratique m’a appris à décrypter un site, à comprendre sa géographie, ses implantations humaines, les mutations à l’œuvre, à identifier les ressources que je vais pouvoir convoquer pour construire le projet. Elle a stimulé en moi un véritable intérêt pour la matière, les détails constructifs, la structure, le sol, l’horizon. Elle m’a enseigné à construire des récits de projet. Elle m’a aussi appris à écouter, dessiner et expliquer. Un projet d’architecture, et par extension sa matérialisation, se concrétise au travers du filtre constitué par le milieu mental de l’architecte. Le projet est nourri par les données issues de l’observation et d’une compréhension à la fois objective, subjective et parfois même rétroactive du milieu dans lequel s’inscrit le projet, mais aussi par la mémoire sélective d’autres lieux visites et parcourus, par les références construites, par les idées issues de courants de pensée. La forme bâtie fait alors autant le récit de l’ici que de l’ailleurs physique ou mental. Toutes ces considérations m’aident à enseigner.
Et l’enseignant le praticien ?
J’ai beaucoup appris au contact des étudiants et de mes collègues enseignants. Je leur suis très reconnaissant. Les expériences pédagogiques, les références, les voyages d’école, les débats, ont stimuler les démarches réflexives dans mon atelier. C’est une certitude. L’enseignement m’a aussi poussé à écrire. J’ai pris l’habitude de rédiger mes cours et de rendre plus explicite les démarches de projet de l’agence en écrivant des articles depuis maintenant quelques années.
Faut-il enseigner un métier pour l’apprendre ?
Il n’y a pas de règles. Je connais un certain nombre d’architectes qui excellent, alors qu’ils n’enseignent pas. En ce qui me concerne, par contre, j’ai la conviction que l’enseignement m’a rendu plus exigeant dans l’exercice de mon métier d’architecte.
4 – Alors que toutes les écoles semblent défendre l’international comme dimension capitale de la formation, l’ENSA Clermont-Ferrand, dont vous assumez la direction depuis février 2019, se tourne vers son milieu local, le Massif Central et la ruralité. Pourquoi ? Quelle pédagogie cela induit-il ?
L’ENSACF est effectivement très attentive à son milieu, et ce pour plusieurs raisons. Nous pensons qu’un établissement comme le nôtre a pour vocation de stimuler le débat public local sur la transformation du cadre de vie en apportant une forme d’expertise grâce aux travaux d’étudiants, aux actions culturelles menées par l’école, aux travaux de nos doctorants et enseignants-chercheurs. L’école contribue à faire émerger des problématiques qui alimentent la réflexion des élus locaux et de l’ingénierie locale quand elle existe. Par ailleurs, nous croyons en notre capacité à stimuler l’avènement de petits systèmes résilients capables de répondre aux chocs prochains : par leurs hypothèses de projets, nos étudiants fabriquent des imaginaires stimulants en convoquant de nouveaux paradigmes. Je dirai qu’il y a un consensus dans notre établissement pour penser, à la suite de Dennis Meadows, qu’il est trop tard pour le développement durable planifié d’en haut. C’est du moins le récit que j’en fais. Il s’agit de bouger les lignes sur notre territoire, très concrètement, en évitant l’écueil de projets hors sol.
L’ENSACF a donc réinscrit dans son projet d’établissement l’idée selon laquelle le territoire du Massif central, considéré dans sa diversité, offrait des pistes de déploiements pédagogiques et de recherche intéressant les pouvoirs publics tout en permettant aux étudiants de l’ENSACF de se confronter au réel. Plus spécifiquement, nous réaffirmons notre volonté d’interroger les ruralités et les petites et moyennes centralités. Cette volonté s’inscrit aussi dans une tradition propre à l’ENSACF : rappelons l’enseignement intitulé « urbanisme en milieu rural » porté dès les années 1980 par trois enseignants : Françoise Lorgeoux, géographe, Madeleine Simonet, sociologue et Jean Paul Vernet, architecte.
Dans une situation critique au sein de laquelle les concentrations métropolitaines montrent des limites (densité démographique, stress, pollutions, disponibilité et coût du foncier, etc.), nous sommes convaincus que d’autres scénarios sont à inventer. Les centres-bourgs des territoires ruraux ou périurbains offrent un terrain d’expérimentation stimulant pour les étudiants et dans lequel l’architecture contemporaine a toute sa place. Autrefois associés à des inerties peu attractives, les conditions critiques contemporaines et les enjeux de demain (recyclage, économie de moyens, écologie des ressources, agriculture, redéfinition des relations à l’animalité, etc.) font des ruralités et des petites centralités des matrices de questionnements stimulants et d’engagement responsable. De nombreux ateliers pédagogiques hors les murs sont organisés tout au long du cursus universitaire tant dans le cycle licence que le cycle master, en partenariat avec des collectivités locales et des parcs naturels régionaux.
Si l’ENSACF s’intéresse à sa géographie proche, elle reste néanmoins attentive à équilibrer son intérêt pour « l’ici » avec celui pour « l’ailleurs », en réaffirmant son attachement au développement d’une culture architecturale, urbaine et paysagère élargie. Ciblés, les voyages long courrier permettent de mieux comprendre l’altérité, les ruptures d’échelle, l’histoire de l’urbanisme et des territoires. L’école a ainsi pour ambition d’explorer la mutation des territoires ruraux sur d’autres continents, en particulier en Chine. Plusieurs opportunités de partenariats devraient s’inscrire dans le programme pédagogique du prochain quadriennal.
En cohérence avec notre territoire d’études privilégié, notre groupe de recherche en formation (GRF), en cours de reconnaissance en tant que laboratoire universitaire par l’Université Clermont Auvergne, a choisi la thématique des « marges » comme objet de recherche. Les marges peuvent être considérées comme des critiques, des transgressions, des résistances, des déviances, des résiliences mais aussi parfois comme des permanences, des résurgences ou des expérimentations. Il s’agit aussi de cultiver l’idée selon laquelle ce n’est pas depuis l’intérieur d’un système dominant que l’on trouve les solutions les plus pertinentes à un problème posé mais bien depuis ses marges.
Enfin, l’ENSACF réaffirme l’intérêt qu’elle porte à la pédagogie de l’expérimentation : ateliers hors les murs, design build, questionnements liés à la réhabilitation du patrimoine existant, aux enjeux environnementaux des tissus urbains anciens ou ruraux (centres-villes, centres-bourgs) privilégiant des stratégies du « low-tech », du réemploi et de manière plus générale, visant la réduction de l’impact environnemental des filières de production du bâti.
Pour notre école, penser le low tech, ne relève pas du passéisme. Faire moins et durable, ne revient pas à tourner le dos à l’innovation, au savoir et à la recherche. Bien au contraire. Les basses technologies interrogent la quantité d’énergie déployée pour concevoir, représenter et produire des édifices ou des aménagements, les ressources employés, le déplacement des matières, les modes opératoires (artisanat / mécanisation / robotisation), l’écologie de la demande, le renoncement à la source, la réparabilité, la relocalisation, le réemploi, etc. Elle nous interrogent sur notre capacité à répondre aux impasses auxquelles nous sommes confrontées aujourd’hui : impasse liée à l’épuisement des ressources, aux pollutions, à la consommation et la dégradation des sols, impasse morale aussi probablement… Nous sentons collectivement, dans cette école, qu’il est grand temps de changer de logiciel.
5 – Alors que les architectes et le sacro-saint projet règnent généralement sur les écoles d’architecture, quelle place accordez-vous aux arts, sciences (humaines, sociales et naturelles) et techniques ?
De mon point de vue, l’apprentissage du projet, développé avec ses outils propres, reste essentiel. Mais, opposer l’enseignement du projet à celui des arts, sciences humaines, sociales, naturelles et techniques n’a tout simplement pas de sens. Un projet d’architecture, de paysage, de territoire, est le lieu de la synthèse : l’étudiant y convoque tous les apprentissages. En cela, le projet n’est pas une discipline autonome : il est le résultat d’une pensée systémique qui invite à s’intéresser autant aux rapports entre les éléments d’un système qu’aux éléments eux-mêmes.
A l’heure de l’anthropocène, il est plus que jamais nécessaire de cultiver les interrelations et donc de sortir des logiques cloisonnées en disciplines spécialisées. Il est de notre devoir de former, dans nos écoles, des personnes capables d’articuler des problématiques multiples, d’affronter la complexité pour mieux penser la transformation des milieux. Les ENSA doivent absolument rester des lieux ou s’épanouit une forme de pensée holistique.
Les disciplines associées ont donc toute leur place dans les ENSA. Leur diversification et leur renouvellement, selon des modalités qui restent à inventer pour éviter un émiettement des enseignements, ne seraient pas superflus. La biodiversité, les écosystèmes, l’agroécologie, les systèmes économiques, les problématiques démographiques et migratoires, sont autant de questions qui devraient être plus souvent abordées dans les écoles. Entendons-nous : il ne s’agit pas de faire de nos étudiants des spécialistes de telle ou telle question mais bien de les placer au contact d’informations et d’expériences multiples pour stimuler leur intuition dans une stratégie dynamique, au bénéfice des projets. Augmenter les savoirs permet d’agir avec plus de conviction.
6 – L’ENSA Clermont-Ferrand est installée depuis 2015 dans un ancien Sanatorium, réalisé en 1934 par Albéric Aubert, sur un coteau surplombant la ville. Comment le lieu d’enseignement, atypique s’il en est, se reflète-t-il dans la pédagogie ?
Les édifices de notre école illustrent ce que peut être un projet de transformation d’un patrimoine existant. Quoique l’on pense du projet de réhabilitation, notre école fait la démonstration qu’une architecture pensée avec talent, à un instant T, pour un programme particulier, dans un site unique, porte en elle les germes d’une possible conversion pour abriter un nouveau programme et de nouveaux usages, sans perdre son âme. L’ENSACF considère l’héritage construit comme une question de société. Initiée par l’architecte Claude Gaillard, la thématique de l’héritage est aujourd’hui largement traitée dans la pédagogie, plus spécifiquement par l’un des trois domaines d’études conférant grade de master.
Enchâssée dans le coteau du Puy de Chanturgue dans le quartier nord de Clermont-Ferrand notre école offre aussi des points de vue extraordinaires sur la métropole : la butte historique de Clermont, l’ancienne ville de Montferrand, les installations industrielles de Michelin et ses cités ouvrières. Mais depuis son toit terrasse on y admire aussi la plaine de la Limagne avec ses terres agricoles parmi les plus fertiles d’Europe, peu à peu grignotées par l’urbanisation et les infrastructures de mobilité, les monts du Livradois avec ses forêts nouvelles plantées de conifères qui ont occupé des pans entiers de territoires ruraux désertés, l’emblématique chaîne des Puys classé au patrimoine mondial de l’Unesco, et, au pied de l’école, quelques parcelles de vignes qui font revivre la culture viticole décimée par la crise du phylloxera à la fin du 19ème siècle. Tant de choses peuvent être expliquées depuis son toit !
Cette possible appréhension du territoire depuis le site de notre école illustre les notions de « lieux » et de « milieux » ainsi que la notion de « l’entrelacement des échelles », lesquelles caractérisent aussi l’enseignement spécifique de l’ENSACF. Respectivement amenées par Chris Younes et Michel Mangematin d’une part et par Didier Rebois et Frédéric Bonnet d’autre part, ces notions sont aujourd’hui incarnées par une nouvelle génération d’enseignants de l’école.
7 – De réforme en réforme, le modèle des écoles d’architecture se rapproche du modèle universitaire sans bénéficier pour autant des mêmes moyens matériels et financiers. Les directions et présidences des ENSA s’en sont émues auprès de leur ministre de tutelle, celui de la culture, Frank Riester (1). Les enseignants se sont ensuite mobilisés notamment sur leurs statuts, suivis des étudiants qui ont mis sur la table la question centrale de la pédagogie (2). Quelle est votre position ?
Le gouvernement ne considère malheureusement pas l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche comme une priorité absolue. La crise sanitaire actuelle illustre parfaitement l’absurdité des politiques néolibérales qui, en fragilisant considérablement les services de santé, sont allées à l’encontre du bien commun. La situation critique dans laquelle se trouve le secteur de la santé est valable pour de nombreux autres services publics, dont l’enseignement supérieur.
Jusqu’à présent, les ENSA ont réussi à faire beaucoup avec peu. Avec les dernières coupes budgétaires annoncées par le ministère de la Culture (baisse des dotations aux ENSA, suppression de nombreux emplois administratifs, non-respect du protocole de recrutement des enseignants-chercheurs), et l’état préoccupant des locaux de nombreuses écoles, nous arrivons à un point de rupture.
Ces logiques court-termistes sont d’autant plus incompréhensibles que les défis qui attendent la profession d’architecte sont considérables. L’épuisement des ressources, le nouveau régime climatique, l’effondrement de la biodiversité, le gaspillage et la dégradation des sols, l’effondrement de nombreuses petites centralités, les inégalités sociales criantes, etc. sont autant de sujets qui impactent directement le secteur de la construction et de l’aménagement. Il est urgent de considérer les ENSA non comme une charge mais comme des espaces de réflexion qui disposent d’une force de frappe considérable pour penser la transformation du cadre de vie au regard des enjeux précédemment cités. Leur prise en compte immédiate est une nécessité. Les étudiants de nos écoles nous le rappellent tous les jours.
Il est navrant de constater à quel point le gouvernement actuel ignore les architectes. Les récentes décisions auxquelles vous faites référence et qui impactent directement les ENSA ont été précédées par la Loi Elan, laquelle a porté un coup sévère à la profession en considérant le logement comme un produit et en donnant le pouvoir aux grands groupes. Son slogan « construire plus vite, mieux et à moindre coût » obéit à des logiques néolibérales incompatibles avec toute idée de transition écologique. Commandée par Françoise Nyssen à la suite de l’émoi suscité par la Loi Elan auprès des architectes, et confirmée par Franck Riester, le rapport rédigé par la mission « Valeur de l’architecture » n’a jamais été rendu public ! Et très récemment, la profession a été tenue à l’écart des discussions portant sur la rédaction du guide de préconisations à destination des professionnels de la construction pour les aider à adopter les mesures de prévention adaptées dans le contexte d’épidémie du Covid-19 (guide publié par l’OPPBTP). Un comble…
8 – La France compte 22 écoles d’architecture dont 20 écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA) disséminées sur tout le territoire métropolitain, ne devraient-elles pas devenir un réseau d’écoles régionales, des écoles uniques et vivantes, battant aux rythmes de leur territoire et de ses habitants ?
Il serait présomptueux de ma part de parler au nom des 20 ENSA françaises.
A l’ENSACF, nous croyons aux vertus d’un positionnement local, considérant le Massif Central, comme notre terrain d’étude privilégié. Riche de situations contrastées, ce territoire nous parait avoir la bonne échelle. Mais une mise en garde s’impose : s’intéresser à l’échelle régionale n’est en aucun cas synonyme de conservatisme, ou de repli identitaire ! Bien au contraire : les questions que se posent les étudiants en portant un regard précis sur un fragment de territoire sont éminemment universelles. Et comme je l’ai déjà dit, nous nous intéressons aussi à des territoires plus lointains, notamment dans le cadre de partenariats avec d’autres établissements européens. Ces ateliers communs sont propices à des échanges extrêmement fructueux et bénéfiques.